Charles

Common people have common sense. Amenez-moi un homme commun aurait dit Marx (Groucho, pas Karl). Charles était un homme commun qui essayait juste de vivre sa vie dans le bon sens.
Souvent, Charles trouvait que le monde était vraiment devenu n'importe quoi.
Souvent, Charles trouvait que le monde était vraiment devenu n’importe quoi.
Même s'il aurait aimé être chasseur de fantôme, Charles n'était pas ce qu'on appelle un rêveur.
Même s’il aurait aimé être chasseur de fantôme, Charles n’était pas ce qu’on appelle un rêveur.
Certains soirs, cramponné à son mannequin, Charles pensait que la fin du monde tardait
Certains soirs, cramponné à son mannequin, Charles pensait que la fin du monde tardait.
Pendant la journée, il aimait bien imaginer que son mannequin regardait par la fenêtre la pluie tomber
Pendant la journée, il aimait bien imaginer que son mannequin regardait par la fenêtre la pluie tomber.
En ce promenant dans le vieux quartier, il était tombé en arrêt devant cette vitrine protégée d'épais barreaux et le pantin triste qu'elle abritait
En ce promenant dans le vieux quartier, il était tombé en arrêt devant cette vitrine protégée d’épais barreaux et le pantin triste qu’elle abritait.
Le soir, il espérait que le port de goggles faisait ressortir son côté sombre
“Le soir, il espérait que le port de goggles faisait ressortir son côté sombre.
(à suivre)

Notre besoin de consolation

Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et, par la même occasion, celui des performances que l’on exige de moi. Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n’est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n’accomplit pas de performance : ce qui est parfait œuvre en état de repos. Il est absurde de prétendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait – mais en conservant sa liberté. Il est également absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L’important est qu’il fasse ce qu’il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable.

Stig Dagerman (1923-1954) (texte complet)

[L’Asile] L’effondrement

Premier extrait d’un projet qui me trotte en tête depuis un moment.

Ca faisait plus d’un mois que je n’avais pas revu Léa. Un soir, j’étais rentré et elle n’était plus là. Partie comme elle était apparue dans ma vie. D’un coup, sans un mot, sans prévenir. Bien sûr, j’ai pensé la rechercher, la retrouver. Mais je ne savais pas grand chose d’elle. Son prénom, Léa, peut-être pas le vrai. Son surnom, l’Ange Bleu, à cause du tatouage en bas du dos. Son implication dans la cause républicaine. Sociale-libertaire, elle disait. Je connaissais aussi l’odeur de sa peau, le son de sa voix, de son rire, le rythme de ses pas. Et tant de chose. Mais rien qui pouvait me servir à la retrouver. Si la police secrète de l’Empire n’avait pas encore réussi à lui mettre la main dessus, comment aurais-je pu, moi, simple égoutier, de première classe certes, mais simple égoutier. Peut-être aussi n’était-elle rien de tout cela. Juste une mythomane. Devant ces raisons, j’avais vite abandonner l’idée de la chercher, m’en remettant au futur, à la chance, à elle aussi. Elle savait où me trouver.

Les jours s’étaient écoulés lents et monotones au rythmes des patrouilles. J’aimais mon métier parce qu’il laissait le temps de réfléchir. Mais là, il me laissait trop de temps. Rien ne se passait dans ces souterrains parcourus des centaines de fois. trente kilomètres de couloirs à superviser. Dix par jour. Le tour en trois jours. Trois tours, un jour de repos et on recommençait.

Je remachais ces pensées comme toujours depuis un mois quand j’ai entendu le signal d’alarme. D’après les coups frappés dans les cloisons et résonnant dans les galeries, Antoine Després avait besoin d’aide. Un effondrement dans un de ses couloirs. Antoine était mon plus proche voisin. On se croisait une fois par jour au gré de nos tournées. Une fois par jour. C’était volontaire. Si l’un manquait le rendez-vous, l’autre donnait l’alerte. C’était la consigne. Ca permettait d’échanger deux trois mots en mangeant le casse-croûte. De se donner rendez-vous à la taverne avant de repartir seul dans ses couloirs.

J’ai suivi la consigne. J’ai mis une marque sur le mur pour pouvoir reprendre au bon endroit et je me suis précipité à son secours. Quand je suis arrivé, la situation était critique, mais pas désespérée. Jean Hugo était déjà arrivé. Avec Antoine, il construisait un étai, dans l’eau jusqu’à la taille. Aucun des deux n’avaient allumé sa lampe de mercure volatile, pensant sans doute que l’eau les protégerait de l’éther. Ou alors Antoine s’était laissé surprendre et Jean n’avait pas pensé à le faire. Malgré son ancienneté, il était resté deuxième classe et on ne le voyait que rarement à la taverne le soir.

–Lampe ! Lampe ! Lampe ! j’ai crié en dégrafant la lampe de ma taille et manoeuvrant le robinet pour l’allumer. Le mercure volatile a grésillé un moment avant de s’enflammer dans un éclair rosâtre. La lumière s’est stabilisée quand j’ai suspendue la lampe à un piton dans le mur. La lumière rosé du mercure volatile permettait de voir plus facilement les nappes d’éther. Surtout avec nos lunettes. L’éther faisait comme un trou noir sous cette lumière. Et, justement, au dessus d’Antoine et de Jean, par la fissure provoquée par l’effondrement, un nuage se formait, l’éther filtrant à travers la paroi fragilisée. A partir de là, tout s’est accéléré. Les gestes précis, mille fois répétés à l’entraînement et quelques fois en vrai, se sont enchaînés.

Equipement: cagoule complète. Vérifier les gants et les fermetures. Le signal: “Ether à midi” crié trois fois. “Midi”, leur réponse. Les pitons, l’escalade pour approcher la fuite sans les géner dans la pose de l’étai. La pompe à vapeur d’eau cuivrée pour dissiper le nuage. Le mortier pour colmater le trou. La pompe. Le mortier. La lampe crachotait, mais la lumière restait intense. Plus de fuite. Une dernière vaporisation et je suis redescendu. Antoine et Jean avait fini de consolider l’étai. Jean était assis plus loin pendant qu’Antoine plaçait les marques signalant l’incident.

Il m’a remercié d’un signe et s’est préparé à monter à son tour pour inspecter ma réparation. C’était son couloir. C’était à lui de le faire. Quand il est redescendu, Jean était déjà parti. Faire son rapport sans doute. D’aucuns le soupçonnait de moucharder. Antoine avait l’air soulagé sous son intégrale. Un tel incident n’était pas si fréquent. Les nappes d’éther étaient chose courante, mais un effondrement avec infiltration ne se produisaient pas si souvent. On allait être traité en héros ce soir à la taverne. Il m’a fait le signe que tout allait bien et je suis reparti à ma tournée.

L’Exil

Je fis un rapide signe pour qu’on remplisse à nouveau mon verre. J’avalai une gorgée puis le fis claquer sur la table en verre. Je regardais, paraissant le remarquer pour la première fois, le décor high tech et pseudo branché de cette salle carrément underground. J’essayai d’entendre tinter les glaçons par dessus le vacarme des conversations insipides. Ma vue se brouillait lentement et j’avais l’impression qu’on me remplissait la tête avec de la ouate tout en retirant le cerveau petit à petit. Plissant les yeux pour essayer de voir, j’ai tenté en vain, d’esquisser un mouvement, émettre un bruit, mais ma main était lourde, trop lourde…
Ma vue se faisait nette par instant et je croyais voir du sang couler des faux tuyaux du vrai système de climatisation. Du sang, son sang, mon sang… J’ai eu un flash, un plage déserte sous le soleil implacable. La netteté de cette vision m’a fait frissonner de terreur. Puis plus rien… Je repris conscience pour comprendre que tout cela n’avait duré qu’un instant, comme une faille dans le temps, m’ayant permis de voir autre chose, ailleurs un autre temps. Et j’ai pleuré sans trop savoir pourquoi…